Communautarisme: une boite de pandore que nous ne devons jamais ouvrir

Une manifestation a eu lieu ce dimanche 10 novembre «contre l’islamophobie». La liberté de manifester est un droit fondamental dans notre pays… au même titre que la liberté de penser et la liberté d’expression. Permettez-moi donc d’affirmer qu’un certain nombre de personnes qui manifestaient ce 10 novembre semblent s’inscrire dans une logique communautariste à laquelle je suis fermement opposé.

J’illustrerai cette opposition avec mon histoire familiale personnelle. Ma grand-mère est arrivée à Marseille à la fin des années 70. Elle avait fui son Liban natal en guerre pour se réfugier en France.

La guerre civile libanaise s’est déroulée de 1975 à 1990. Elle tire son origine dans une unité nationale fragile, avec un communautarisme religieux institutionnalisé: tous les sièges du parlement sont répartis entre les communautés religieuses, le président doit être chrétien maronite, le premier ministre musulman sunnite et le président de l’assemblée musulman chiite. En quelques années, la montée du clientélisme communautaire, les déséquilibres économiques croissants entre les communautés, les divisions grandissantes sur le traitement des réfugiés palestiniens et la multiplication des ingérences de pays étrangers qui financent les communautés, finissent d’achever le sentiment d’appartenance nationale. Les communautés s’arment, l’Etat ne contrôle plus rien, la corruption régit la sphère publique, les violences se multiplient… Et la «Suisse du Moyen-Orient» s’effondre brusquement dans un conflit interne de 15 ans qui fera près de 250.000 victimes civiles.

A ceux qui encensent le communautarisme anglo-saxon pour ses prétendues vertus de tolérance et de respect des différences, ce vécu familial d’un exil forcé témoigne de la puissance destructrice du communautarisme religieux, capable de disloquer un Etat et de plonger ses citoyens dans l’insécurité quotidienne.

Non, le communautarisme n’est pas un modèle de société et la France doit le refuser sans aucune concession. C’est un maître tyrannique sous le masque de la démocratie, qui prétend protéger ses partisans de la misère sociale pour, en réalité, les asservir. Un maître paré de symboles identitaires sensés représenter la liberté individuelle pour, en réalité, aliéner et soumettre ceux qui vivent dans l’entre-soi à des règles et des principes contraires à ceux de la République. Un maître qui réclame des aménagements de la loi en victimisant ses partisans pour, en réalité, les détacher d’une République dont il n’accepte pas les principes, et en premier lieu la laïcité. Un maître qui accuse d’intolérance ceux qui refusent de céder à ses ordonnances pour, en réalité, fédérer autour du repli sur soi et du rejet de l’Etat.

La France ne reconnaît qu’une seule communauté: la Nation. Elle demande le respect de ses valeurs, de ses institutions, de ses lois, qui sont les mêmes pour tous et n’ont pas vocation à s’ajuster aux convictions religieuses et personnelles de chacun. Tous les citoyens sont libres d’avoir des convictions religieuses personnelles ou de ne pas en avoir. Tous les citoyens sont également libres de porter un regard critique sur les religions, comme l’ont fait Critias, Lucrèce, Spinoza, Diderot, Condorcet, Voltaire et bien d’autres aujourd’hui encore.

Dans les semaines et les mois qui viennent, je ne doute pas que de nombreux débats de société viendront interroger les législateurs. Au cours des discussions qui s’annoncent, j’aurai sans doute en mémoire l’exemple d’intégration et les leçons de l’expérience de ma grand-mère. Je jetterai certainement un regard à cette petite boite métallique, qui lui servait à récolter les débris des projectiles qui jonchaient son appartement en ruine de Beyrouth. Pour ne jamais oublier les conséquences tragiques du communautarisme religieux, cette boite de pandore que nous ne devons jamais ouvrir.

Guillaume Kasbarian